Ta pire nuit
Je suis la nuit.
Dans ta chambre, je suis chez moi.
Je suis le moindre de tes soucis.
Couchée sur ton drap, tu ne me vois pas.
Et pourtant je suis là, tapie, gris souris.
Tu fais comme ci.
Tu fais comme ça.
Mais c’est moi qui décide pour toi.
Je suis l’ombre et le terreau de tes envies,
le début et la fin du moindre de tes songes.
Je creuse à la main l’antre de tes oublis.
Je suis la nuit.
J’ai tapissé de noir toutes tes pensées.
Je connais chacun de leur angle secret,
je me délecte de leurs courbes tressées
et frémis à l’idée incarnée de pouvoir les caresser.
Mes ongles ont arraché la lumière à tes rêves.
Mon souffle a formé le verre de tes regrets.
Et sur le sol de ton chaos, j’ai pétri tes plus profondes détestations.
Je connais tes avalanches,
tes tentatives répétées de te relever.
Tu n’avais que ce verbe à la bouche : « t’émanciper ! »
Je connais tes doutes, leur brume et ces enclumes qui te font plonger.
Et pour cause…
C’est moi qui les distille dans les pores de ta peau, dans tes muscles, dans toutes tes glandes.
Tu te dis ci ou ça.
Tu veux décider pour toi.
Tu crois que tu sais,
mais je suis plus forte que toi.
C’est moi qui décide pour toi.
Je suis née avant le monde,
C’est moi qui l’ai façonné.
Je suis la nuit.
Je ne dors pas, je ne dors jamais.
Le jour, je me cache sous un drap.
C’est un drap qui picote, il m’irrite parfois.
Alors je songe à ma vie,
Je me demande qui je suis.
Je ressemble à l’air, mais je suis plus sombre que la terre.
Je ne vieillis pas.
Je suis infinie.
Je n’ai pas le choix.
Après le jour, je te regarde.
Tu t’abîmes les yeux et le corps, inconfortable,
et pourtant tu souris sous cette lampe qui m’éteint.
Je le regarde cet objet que tu ne lâches pas,
Moins vivace, je les regarde,
ces hosties de mots dont tu te délectes et qui te massent la tête.
Tu tournes les pages et ça change les traits de ton visage.
Tu as, on dirait, des émotions sur la peau.
Et certaines m’échappent.
Je ne les comprends pas.
Je ne sais pas lire.
Je suis la nuit.
Je ne lis pas.
Je ne suis pas fière de ça.
Insatiable, je t’attends, tapie, gris souris.
J’attends que tu les lâches les mots
pour t’abandonner, inconscience, dans mes bras,
Je maudirai le mot.
J’étranglerai le verbe.
Le papier sera enseveli dans la tombe de l’oubli.
Je suis la nuit.
Je suis ta pire nuit.
Je le sais déjà pendant que toi, tu souris.